"Israël : Les années de l’intégration" par Anne Baer in Entreprendre à l'International, Janv. 2022
L’année 2021 restera une année charnière pour Israël.
C’est l’année de la normalisation avec 4 pays arabes, et de l’alternance politique après 12 ans de pouvoir des partis de droite et religieux. C’est l’année où les services ont dépassé les biens manufacturiers à l’export. Enfin, c’est l’année où Israël a annoncé à Glasgow le premier Plan Climat digne de ce nom.
Sur le plan politique, l’arrivée au pouvoir en juin d’une coalition improbable incluant un parti arabe, suivi début novembre du vote du budget, assure une stabilité de principe jusqu’à 2025. En vertu de leur accord de rotation, Yaïr Lapid succèdera à Naftali Bennett en août 2023 à la tête du gouvernement.
Cinq ministres (toutes des femmes !) s’attaquent aux enjeux climatiques aux portefeuilles clé de l’Énergie, Transport, Environnement, Économie et Éducation.
Israël va s’appuyer sur le secteur privé pour lancer les nombreux chantiers liés au Plan Climat et au Plan Marshall visant la société arabe.
Sur le plan des relations internationales, la menace de l’Iran, État du seuil nucléaire, fait coïncider les intérêts des pays sunnites avec ceux des Israéliens. La dynamique des Accords d’Abraham inaugurée en septembre 2020 consiste en un cumul d’accords bilatéraux et multilatéraux signés progressivement par les Émirats Arabes Unis et Bahreïn, le Maroc et le Soudan, s’ajoutant aux précédents traités de paix avec l’Égypte (1979) et la Jordanie (1994).
Ces accords ont un caractère militaire, sécuritaire, renseignement, cyber, mais comportent également d’importants volets de collaboration économiques : l’énergie, l’eau, la santé, l’agriculture, l’innovation, l’espace et la recherche. Ils se traduisent par des conventions liées aux liaisons aériennes, swift, télécommunications, universités, fonds d’investissement.
El Al survole désormais l’Arabie saoudite. (Photo : Anne Baer)
L’accord de Défense signé le 24 novembre 2021 avec le Maroc, est le premier du genre entre Israël et un pays arabe. Il s’agit de vente d’armes, d’échange direct d’informations stratégiques entre armées. La relation économique avec le Maroc va pouvoir s’appuyer sur les diaspora en France et en Israël – où 700,000 personnes sont d’ascendance marocaine.
Le Bahreïn, lui n’a pas encore suscité le même engouement.
Un réchauffement opportuniste avec la Turquie est en cours. Tiendra-t-il la route ? La crise libanaise sera-t-elle l’occasion de relations nouvelles, à l’ombre du voisin syrien ?
Or les exportations israéliennes viennent concurrencer ces mêmes secteurs où les Français excellent. L’énergie, l’eau, la défense notamment. Après plus de 25 ans de va-et-vient discrets pour les titulaires de double-passeport entre Israël, l’Afrique du Nord et les pays du Golfe, une décennie de récolte au grand jour s’ouvre pour les milieux d’affaire. C’est le moment de fonder des alliances sur les complémentarités. Premier cas d’école : l’accord signé entre Masdar et EDF-EN qui les introduira dans les appels d’offre photovoltaïques en Israël. Dans le sens inverse, les sociétés israéliennes auront besoin de s’appuyer sur des alliés bien implantés et rompus aux codes du Moyen-Orient. Si ce ne sont les Français, les anglo-saxons leur tendent les bras.
La signature en novembre d’un « Green-Blue Deal » d’énergie solaire en échange d’eau dessalée entre la Jordanie et Israël, vient révolutionner le paysage. Israël manque de terres pour y poser ses panneaux. La Jordanie manque d’eau. Ce sera dans un premier temps 600 MW contre 200 millions de m3.
Image surréaliste ? Le Green-Blue deal signé sur le stand des EAU à l’EXPO2020, le 22 novembre. De gauche à droite : Ministre israélienne pour l’Energie et l’Eau Karine Elharrar, Ministre émiratie du changement climatique Mariam Almheiri et Ministre jordanien de l’Eau et de l’Irrigation Mohammed Al-Najjar. Au second rang : l’émissaire Climat US John Kerry, le Prince émirati Mohammed bin Zayed.
(Photo : UAE Foreign Ministry/Twitter)
Le Climat vient d’être déclaré enjeu de sécurité intérieure par le Premier Ministre à la tête de la seconde plus importante délégation à Glasgow. La puissante machine de l’innovation israélienne est en train de pivoter. Après Internet, la Cyber, et l’Autotech on entre désormais dans la décennie de la Climtech.
Sur le plan économique, 2021 restera l’année où les exportations de services ont dépassé celles des biens manufacturiers. Déjà fortement tirée par le high-tech, l’économie israélienne en est devenue dépendante. Le secteur historique de l’agriculture par exemple représente moins d’1,4% du PIB.
On sort d’une décennie record en matière de levée de fonds et de valorisations avec davantage de licornes[i] israéliennes que toute l’Europe réunie. Cette tendance ne pourra perdurer que si Israël résout sa pénurie de compétences.
Gravissant les échelons année après année, le PIB par habitant d’Israël se place au 26ème rang mondial (mais 46ème en pouvoir d’achat). Face à l’afflux de devises, l’Euro s’est érodé de 17% en deux ans face au Shekel. L’écart étant appelé à se creuser, c’est une aubaine pour les entreprises européennes exportatrices.
Tel-Aviv peut se targuer d’avoir supplanté Paris dans le rôle de la ville la plus chère du monde[ii]. Afin de diminuer le coût de la vie - une personne sur cinq se trouve sous le seuil de pauvreté[iii], Israël prend des mesures pour réduire les barrières à l’importation. Un accord vient d’être entériné élargissant les produits pour lesquelles les normes et standards européens feront foi. C’est une période faste qui s’ouvre pour de nouveaux acteurs de la distribution, chaînes de franchise, marques et produits français.
Face à la pandémie, les Israéliens ont pu mettre à profit leur exceptionnelle résilience et enregistrent une reprise rapide. Les opportunités pour les opérateurs, assistants à maîtrise d’ouvrage, experts et fleurons industriels français sont et vont être nombreuses : construction et rénovation de logements pour ce pays de l’OCDE qui affiche le plus fort taux d’enfants par femme ; développement des transports ferroviaires quand Israël détient le triste record du temps passé dans les embouteillages au sein de l’OCDE ; efficacité énergétique et production de renouvelables pour atteindre le Zéro Carbone promis pour 2050.
Article écrit par Anne Baer, en tant que Présidente du Comité Israël des Conseillers du Commerce Extérieur de la France pour Entreprendre à l'International, Spécial Perspectives 2022.
[i] Une licorne est une startup dont la valorisation atteint plus d’1 milliard de dollars. [ii] The Economist, Dec. 2021. [iii] Données OCDE, 2018.
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