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Décryptage : Première attaque iranienne directe sur Israël. Par Anne Baer.




Extrait d'une vidéo du 14 avril 2024 montrant des interceptions de missiles balistiques tirés par l'Iran sur Israël, au dessus de la mosquée Al Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem (AFP)


Résilience d'Israël à la veille de l’attaque iranienne du 13 avril

Alors que depuis le 7 octobre Israël est mobilisé sur deux fronts, dans le Sud contre le Hamas à Gaza, dans le Nord contre le Hezbollah, l'économie et la société d'Israël affichent une résilience sidérante. Il n’y a pas de réelle inquiétude à se faire à court terme pour l’économie d’Israël. Elle a dès janvier, retrouvé à 95% son rythme de croisière à l’exception de certains secteurs devenus progressivement marginaux pour la Startup Nation tel l’agriculture et tourisme, ou encore la construction (10% du PIB) spécifiquement retardée faute de main d’œuvre. La société fonctionne toujours en plein emploi avec un taux de chômage de l’ordre de 3%. Le pays ne rencontre aucun problème d’approvisionnement et les ports fonctionnent presque normalement.

La haute technologie, « première industrie du pays » avec 18% du PIB et 55% des exportations (biens et services) n’est que peu affectée. La demande mondiale adressée à Israël reste forte. Le shekel s’est maintenu, après des baisses et des rebonds.


Nuit fracassante du 13-14 avril : première attaque iranienne directe sur Israël 

L’attaque iranienne contre Israël dans la nuit 13 avril est sans précèdent dans l’histoire des deux pays. Elle s’inscrit dans un contexte d’escalade des tensions. D’un point de vue opérationnel, elle se solde par un plein succès pour Israël et une coalition d’alliés : coopération efficace à toutes les étapes de l’opération (renseignement, détection et interception).

Elle fait suite au bombardement le 1er avril dernier par Israël des locaux de la mission militaire (consulat Iranien adjacent de l’ambassade) dans la capitale syrienne. Plusieurs personnes y auraient trouvé la mort parmi lesquels sept membres des gardiens de la révolution, dont deux hauts gradés - un Brigadier General responsable des forces Quds(1) pour la Syrie et le Liban et un Colonel qui le seconde - plus de 5 miliciens iraniens et un membre du Hezbollah.

C’est loin d’être la première fois qu’Israël attaque des cibles affiliées à l’Iran en Syrie. Pas plus tard que les 28 et 29 février dernier, on imputait déjà à Israël deux attaques du Hezbollah près de Damas. Mais c'est la première fois que cela se passe dans un Consulat.


1er avril 2024 : bombardement par Israël d’une annexe de l’Ambassade iranienne à Damas. 


Une ligne rouge a été franchie de part et d’autre

L’Iran fait savoir qu’une ligne rouge a été franchie : ses émissaires ne sont plus protégés par les murs de leurs bureaux à l’étranger. Rappelons que l’Iran et ses proxys sont coutumiers des attaques d’ambassades et de diplomates depuis plus de 30 ans. Coincidence, il y a quelques jours, après 30 ans de tergiversation, les tribunaux argentins viennent de reconnaître l’Iran et le Hezbollah coupables de l’attentat contre l’Ambassade d’Israël à Buenos Aires en 1992 dans lequel 29 personnes ont trouvé la mort. On serait presque tentés de qualifier le bombardement aérien du Consulat de réponse tardive à l'attentat du siècle dernier. Les Israéliens ne l'ont pas fait.

Pour l’Iran, cette attaque ne peut rester sans réponse. Les Ayatollah vont laisser deux semaines s’écouler soupesant leurs options, laissant le temps à Israël (en étroite collaboration avec les États-Unis et ses alliés de la région) de préparer ses troupes et ses arrières. Prévenus par de multiples partenaires, quelques heures avant l’attaque par l’Iran, les Israéliens décrètent la fermeture préventive de tous les jardins d’enfants (les écoles sont fermées pour la Pâque) et interdit les rassemblements de plus de 1000 personnes. Annoncées pour 48 heures, les mesures seront levées plus tôt que prévu. Quant à l’espace aérien, il ne reste fermé que 7 heures dans la nuit du 13 au 14, tandis qu'en Iran, il restera fermé pour au moins 24 heures.


14/04 à 00:35 heure israélienne : espaces aériens israélien, jordanien, iraquien et libanais fermés


L’Opération « Promesse véritable » : 13 avril 23:10 (heure iranienne) salve après salve

Habituée aux offensives terroristes, Israël n’avait toutefois pas été prise pour cible par un État (l’Iraq) depuis 1991, lors de la première guerre du Golfe. Les États-Unis avaient à l’époque déployé leur système de défense Patriot en Israël permettant à son allié de limiter ses pertes et d’éviter une déflagration régionale. Mais depuis, Israël a perfectionné sa défense aérienne avec le développement de ses propres systèmes, en grande partie cofinancés par les États-Unis. 

L’attaque « Promesse véritable » débute donc dans un contexte très différent. Au départ, 190 drones kamikazes sont lancés quasi-simultanément depuis le sol iranien vers Israël. Il s’agirait de Shahed 136 et 238, deux modèles assez similaires de drones d’attaque iraniens : le 136 est opérationnel depuis 2022 alors que le 238, plus puissant, plus rapide mais avec une portée plus faible, est opérationnel depuis fin 2023. Comme Zelensky nous le rappellera, ces véritables avions sans pilotes iraniens sont utilisés par la Russie en Ukraine.

Au final, aucun drone ne réussira à pénétrer l’espace aérien israélien, abattus au-dessus du sol iraquien, jordanien et saoudien par des avions de chasse pour la plupart israéliens mais aussi par les armées de l’air américaine, britannique, française et jordanienne. Des radars et batteries de défense aérienne américains auraient eux aussi pris part à la mission à partir du territoire jordanien.



Jet-powered Shahed - 136/238 drones


Soutien inédit de pays sunnites pour défendre Israël face à la menace iranienne chiite 

Outre la Jordanie, la coalition aurait bénéficié des renseignements des Émirats et de l’Arabie Saoudite dont les territoires ont été survolés, et du Qatar à partir duquel certaines opérations auraient été menées.

Au delà de la surprise qu'une telle alliance peut causer, l'ampleur de la coordination pour la défense aérienne d’un territoire est une première dans l’histoire militaire mondiale. Unique par l’'importance de la menace (quantité, variété et dangerosité de l’arsenal), par le nombre d’armées différentes collaborant en temps réel et surtout par l’efficacité de la réponse (99% de taux de réussite). C’est une mauvaise nouvelle pour l’Iran qui va devoir reconsidérer sa doctrine. Cela pourrait en revanche ouvrir des perspectives à des pays comme Taïwan ou l’Ukraine.


Soutien occidental

Outre les Américains et les Anglais, les forces françaises ont joué cette nuit là un rôle direct. Dans le cadre de l’opération Chammal (2) l’armée de l’air française est officiellement déployée sur la base aérienne jordanienne « Prince Hassan » avec 6 Mirage 2000D et 4 Dassault Rafale et plusieurs centaines de soldats. Cette base se trouve sur la trajectoire des drones et missiles lancés depuis l’Iran. Le système anti-aérien français Mamba est déployé sur la base depuis quelques années, cependant aucune information officielle ne laisse penser qu’il a été opérationnel. 

Les Français ne se seraient pas contentés de fournir du renseignement ; leurs avions et radars ont participé à l’opération par l’interception de drones iraniens qui survolaient la Jordanie et l'Iraq ; ils ont protégé des positions militaires qui leur servent en temps ordinaire de bases contre Daesh (3).


Missiles de croisière en folie : la fête de serait pas complète sans le Hezbollah et les Houthis 

En parallèle, dès le début de la nuit, quelques drones kamikazes auraient aussi été lancés par les Houthis depuis l’ouest du Yémen, puis abattus au-dessus de l’Arabie saoudite avec son soutien assumé. Certains seront détruits avec leur batterie de lancement, avant même le décollage. De son côté, le Hezbollah vise depuis le Sud Liban les bases israéliennes sur le plateau du Golan. Une partie des 25 roquettes est interceptée par le système dôme de fer ; le reste, imprécis, tombant dans des zones inhabitées. 

Plus tard dans la nuit, 36 missiles de croisière en 3 salves successives auraient aussi été tirés depuis l’Iran ainsi que 120 missiles balistiques.

A la différence des drones qui ont été abattus avant de pénétrer l’espace aérien israélien, la plupart des missiles de haute altitude n’ont pu interceptés par la défense aérienne israélienne qu’à leur descente au-dessus de la Jordanie et d’Israël. Les systèmes israéliens anti-missiles de longue et moyenne portée « Arrow » 2 et 3 et « Fronde de David » ont été activés. Des sirènes ont retenti durant une quinzaine de minutes entre 1h et 2h du matin dans différentes régions du pays, y compris à Jérusalem où certaines images nous montrent que les missiles ne sont pas passés loin des lieux saints. A noter que le centre névralgique et démographique du pays, Tel Aviv et sa périphérie, n’ont enregistré aucune alerte. 

Bilan côté israélien : au moins un des missiles iraniens aurait réussi à passer au travers du rideau d'anti-missiles, et atteindre une base aérienne israélienne au sud d’Israël, causant des dégâts matériels. Une enfant bédouine de 7 ans a été grièvement blessée par un débris de missile près d’Arad dans le désert du Néguev.


Une rupture stratégique qui révèle des alliances opérationnelles et remet en cause la détente irano-saoudienne

Compte tenu des capacités attribuées à l’Iran, on est en droit d'être surpris que la république islamique n’ait pas réussi par cette attaque massive à causer de réel dégâts. Grace aux interceptions, l'Iran peut estimer qu'Israël est dispensé de riposter, ce feu d'artifice ayant permis de rétablir l’équilibre de la dissuasion après l’attaque du 1er avril.

 

Mais ce n'est pas tout. L’efficacité de la réaction concertée est une mauvaise nouvelle pour Téhéran. C’est un échec politique. Prenons par exemple le cas des Saoudiens, avec lesquels ils venaient de signer la détente par un pacte de non-agression en mars 2023. De fait, les attaques du 7 octobre et les attaques des Houthis sur la Mer rouge avaient déjà été perçus par Riyadh comme une ingérence iranienne dans leurs plans de stabilité et de prospérité pour la région qui passent par une normalisation avec Israël. Mais c’est seulement après l’attaque iranienne directe du 13 avril, que le site officiel de la famille royale donne place à l’accusation.


Le site officiel de la famille Saud accuse l'Iran et mentionne la participation de l'Arabie saoudite à l'opération

 

En 1979 puis en 1994, Israël avait signé deux traités de Paix avec ses voisins l'Egypte et la Jordanie. En 2020, les Accords d'Abraham avaient officialisé son rapprochement avec les Emirats, Bahrein, le Maroc et le Soudan.

En 2024, non seulement aucun traité ni accord signé avec Israël n’a été dénoncé depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, mais d'autres pays semblent être encore candidats. L'Arabie Saoudite, et peut-être aussi l'Indonésie. Cette situation est néanmoins précaire. Il y faut des perspectives de fin de conflit et non d'escalade. Et une relance d'un processus palestinien, ces grands oubliés des Accords d'Abraham.


Parallèlement à ces processus de normalisation israélo-arabe, la nuit du 13 octobre a levé le voile sur un autre mouvement tectonique. Le rattachement d’Israël au CENTCOM américain décidé en 2021, a permis des coopérations opérationnelles efficaces avec les pays arabes rattachés au même Centre de Commandement. Les événements récents ont révélé le caractère opérationnel de l’alliance arabo-américano-israélienne contre l’Iran et ses proxies. La signature du MEAD – Middle East Air Defence Alliance – promue dans la foulée des Accords d’Abraham – avait été annoncée en 2022 par Naftali Bennett et Benny Gantz, tandis que les partenaires arabes étaient restés plus discrets. Cette attaque de la nuit du 13 au 14 avril, bien que présentée officiellement par le régime iranien comme un succès, met en évidence l’isolement de l’Iran.


La question reste de savoir maintenant si Israël qui annonce une riposte, tiendra compte de la pression de ses alliés dans la région qui appellent tous au calme, ainsi que de sa propre opinion publique qui à 74% s’oppose à une frappe contre l’Iran si elle venait porter atteinte à ces nouvelles alliances (4).


Anne Baer, CEO d'Ikare


(1) Forces Quds : Forces spéciales responsables des opérations extérieures de l’Iran apportant son soutien sur le terrain a des acteurs non-étatiques de la region : Hezbollah, Hamas, Djihad islamique palestinien, Houthis yéménites, militants Shiites en Syrie.

(2) Opération Chammal (2014 - aujourd’hui) : opération française de support à l’armée iraquienne pour contrer l’expansion de l’état islamique.

(3) Source : Interview du Président Emmanuel Macron sur BFM-TV et RMC radio.

(4) Source : Sondage de l'Université Hébraïque de Jérusalem, reporté dans Walla (hébreu)

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